Direction le cercle polaire

Le Nord, toujours plus au Nord. Cela résume bien nos derniers voyages. Après une aventure circulaire en Islande où nous avons pu chatouiller le cercle polaire, nous avons bien l’intention de franchir la ligne des 66°33’N pour rester quelques temps dans cette zone où la nuit et le jour règnent successivement en maître au cours de l’année.

Et c’est vers la Suède que nous nous dirigeons. La situation sanitaire du moment que nous avons tous subie nous aura laissés peu sereins jusqu’au dernier moment. Mais nous arrivons finalement à Stockholm où un van nous attend et nous accompagnera tout au long de cette aventure. Nous n’avons pas visité la capitale cependant : même si la Suède était relativement épargnée au moment de notre visite, les zones les plus à risque semblaient être la partie sud avec une population plus dense. Direction la nature donc, et surtout le Nord !

Nous remontons tranquillement la côte jusqu’à Lulea. Le paysage reste homogène sur ce tronçon de presque un millier de kilomètres, mais champêtre et enchanteur. On pourrait croire que nous sommes entrés dans une forêt à notre départ dont nous ne sommes pas sortis. Le bouleau semble régner en maître sur la flore dans cette partie du monde, nous offrant une toile composée de troncs blancs sur lesquels se joue une bataille de couleurs d’automne. Le trône est cependant partagé avec les conifères !

La météo est mitigée, et notre première excursion en forêt pour atteindre un point de vue réputée nous a permis d’admirer une magnifique couche de brume, mais l’ambiance mystique était assurée.

Camper se révèle particulièrement simple. La pratique semble ancrée dans les mœurs locales, les lieux sont simples mais efficaces et plongés dans la nature. Au delà du camping, c’est surtout l’immersion dans la nature qui fait partie du mode de vie, qui s’accompagne de son respect. Il y a un mot ici pour refléter ceci : Allemansrätten. Il s’agit de la loi fondamentale du libre accès à la nature pour tout un chacun. Un accès responsable, qui doit se faire dans le respect à la fois des autres mais aussi de la nature elle-même. Cela permet par exemple de camper très librement tant que l’on reste à distance raisonnable des habitations et que les lieux sont laissés tels qu’ils ont été trouvés.

Nous traversons quelques villages sur la route. Le bois est le matériau principalement utilisé pour la construction ici, et les maisons sont peintes du rouge Falun typique de ce pays. L’origine de cette peinture provient de la mine de Falun au XVI siècle. Les résidus de la mine (principalement du cuivre, de la silice et du zinc) sont utilisés pour la produire ce qui donne ce rouge si particulier. À l’origine, la teinte avait vocation d’imiter le rouge des briques utilisées chez les classes aisées, mais il s’agit désormais d’un symbole national.

Autre élément singulier que l’on peut noter dans les villages suédois : la présence d’un clocher séparé d’une église ou d’un quelconque autre bâtiment religieux. Jusqu’à présent, je n’ai pas trouvé d’explication à cette particularité. Ici celui de la ville de Mora.

Nous parcourons à présent les rues de Luleå. En dehors des villages traversés, il doit s’agir de la première ville que nous visitons. Au large, on peut apercevoir les brise-glaces Frej, Atle et Ymer stationnés faute de glace à briser.

À force de monter au nord, nous entrons en Sápmi, plus connue par chez nous sous le nom de Laponie, mais cette dernière appellation étant péjorative (Lapon signifie porteur de haillons en suédois) on lui préférera la première. Il s’agit d’une région qui chevauche plusieurs pays, de la Norvège à la Russie, en passant par le Suède et la Finlande. Sápmi est la terre du peuple Sami dont la présence est attestée il y a plus de trois millénaires avant J-C. Peuple nomade, leur activité tourne principalement autour de la chasse aux rennes qui, sous la pression des colons européens, s’est transformée en élevage. Leur culture est riche et passionnante. Si vous avez l’occasion de vous y rendre, le musée Ájtte de Jokkmokk a été très enrichissant.

Les Samis sont très proches de la nature, et les traces d’habitation traditionnelle que l’on a pu observer sur des reconstitutions ou sur des lieux de regroupement annuel sont très végétalisées. Pour les cabanes traditionnelles, l’écorce de bouleau était utilisée comme isolation.

L’arrivée en Sápmi coïncide avec notre entrée dans le Cercle Polaire Arctique. Au fur et à mesure que nous montons, la densité de la végétation diminue, l’infinie forêt blanche laissant finalement la place à une sorte de toundra d’herbe brulée et d’arbres asociaux. Toutefois, les bouleaux restent présents, et ce paysage si particulier n’en est pas moins somptueux.

Un point que j’ai oublié de mentionner jusqu’à présent : l’eau. Il y en a partout, sous toutes les formes, au point qu’on en viendrait à se demander si la Suède n’est pas une énorme archipel. Certains lacs sont si grands qu’on pourrait se croire au bord d’une mer. Le lac Vänern par exemple, au sud, possède une surface de plus de 5600km². La partie sud de la Suède, au niveau de Stockholm, est riche en lacs de toutes tailles, qui se marient très bien avec ces énormes forêts.

L’eau a de plus la particularité d’être imprégnée d’un fort tanin, comme ce que l’on peut voir en Écosse. C’est donc une eau très noire que l’on observe, avec un léger dégradé orange là où l’eau est moins profonde. Le tout se marie parfaitement avec les teintes de la végétation.

En continuant notre remontée vers le nord, la présence de l’eau ne diminue pas. Nous remontons la E10 toujours plus loin pour passer Kiruna, puis atteindre Abisko, très proche de la frontière norvégienne. Le passage de frontière n’était pas très clair à ce moment concernant les possibles quarantaines, nous sommes donc restés suédois. Le lac Torneträsk borde toute cette partie de la route, qui est soumise à des vents violents provoquant des vagues sur le lac et renforçant cette impression d’être au bord de la mer.

Kiruna est une ville importante du fait de la présence de la plus grande mine de minerai de fer au monde, appartenant à la LKAB. Le minerai est extrait puis acheminé par train au port de Narvik en Norvège (on y reviendra dans un prochain article norvégien). Quant à Abisko, c’est un point idéal pour observer le monde arctique qui est réputé pour l’observation d’aurore boréale. Malheureusement la météo ne sera pas de notre côté pour ce dernier point, et nous sommes de toutes façons un peu trop tôt dans la saison.

Abisko est aussi le nom du parc national qui se trouve non loin de la ville. Nous nous rendons sur les lieux pour un peu d’exploration sur le début du Kungsleden, ou Voie Royale, un trek de 425km qui relie Abisko à Hamavan.

Il s’agira de notre point le plus au nord pour ce voyage, 68.35°N. À partir d’ici nous allons redescendre vers le sud, mais en serrant plus à l’ouest, plus proche de la Norvège. Peu de temps après avoir commencé cette descente, alors que nous nous apprêtions à quitter notre spot de camping près d’un lac après Gallivare, nous nous sommes vu offrir un magnifique brochet par un sami venu pécher de bon matin avec sa femme. Il ne s’était guère écoulé plus de 5 peut être 10 minutes entre le moment où ils sont partis pécher et leur retour à leur voiture. Faute de langue commune, les échanges ont été limités, mais nos regards envieux vers son poisson ont du le faire rire, et il nous a offert ce poisson sans se poser de question, en nous faisant comprendre que ça ne lui prendrait pas beaucoup de temps pour en sortir un second de l’eau. Cette simplicité à pêcher m’a rappelé cette période pas si lointaine en France mais qui malheureusement n’est plus, que me narre régulièrement mon grand-père où il pouvait ramener du poisson aussi facilement pour le repas du jour.

Notre prochaine destination s’annonce particulièrement excitante : bienvenu sur la Vildmarksvägen, la route sauvage, un parcours de 360 kilomètres sur la route la plus haute de Suède. En préliminaires, nous nous arrêtons d’abord à Vilhelmina pour collecter quelques informations et nous assurer des conditions météo. La route est en effet fermée une partie de l’année à cause de la neige, mais nous avons quelques jours de délai avant la fermeture. Nous avons une discussion très intéressante avec la personne de l’office de tourisme, qui nous montre des vidéos de la route sous la neige. Cette dernière peut atteindre une épaisseur de 7m. D’énormes chasse-neiges creusent alors la neige grâce à un guidage GPS indispensable pour repérer la route dans ces conditions. Mais pour le moment, nous ne roulerons pas sur une route blanche, même si l’on aperçoit au loin des sommets saupoudrés de blanc.

La route commence par longer une rivière… Rien d’original par rapport au reste du voyage jusqu’ici, mais cette rivière coule sur une formation rocheuse un peu particulière qui forme des sortes de balcons.

Dans l’alternance entre toundra et forêt dans laquelle nous évoluons, le début de la route se trouve dans une partie forêt, qui laissera progressivement la place à son alter-biome lorsque nous nous approcherons du milieu de la route, sur la partie la plus haute.

Le plateau en altitude est un réservoir géant de… rennes ! Les troupeaux que nous croisons sont impressionnants. Il n’est pas question de clôture ici, les rennes évoluent librement sur le plateau, voire sur la route. Leur fourrure et leurs cornes mises à part, la tête des rennes, me rappelle celle des bovins, même si leur physionomie globale ne laisse aucun doute sur leur appartenance à l’ordre des cervidés. Il s’agit d’une espèce différente de celle des rennes que l’on trouve au Canada (qui sont appelés caribous de l’autre côté de l’Atlantique).

Les rennes perdent leur bois en hiver pour permettre de conserver leur énergie. Ils repoussent ensuite pour la période de rut. Les femelles peuvent aussi en être pourvus. Lorsque les bois poussent, ils sont initialement recouverts d’une fine couche de peau qui se détache plus tard. On observe donc des lambeaux de peau, parfois légèrement sanguinolents, accrochés aux bois.

La liberté dont jouissent les rennes est toutefois relative, les bergers samis veillant à les diriger. Et la technique utilisée nous a beaucoup surpris. Un hélicoptère fait office de chien de berger. Équipé d’une sirène et comptant sur l’instinct grégaire de ces animaux, le Airbus Helitrans H125 déplace progressivement les troupeaux d’un versant à l’autre de la montagne. Quelques quads surveillent à des endroits stratégiques, mais sont restés plutôt passifs durant notre observation. Le côté écologique de ce procédé nous a paru quelque peu discutable, mais il semblerait que l’impact soit moindre que celui qui serait engendré si les bergers ne devaient utiliser que des quads. Cela permet aussi d’éviter d’abimer la forêt. Il semble cependant s’agir d’une opération relativement exceptionnelle qui arrive en automne lorsque les samis doivent rassembler les troupeaux.

La suite de la route sera moins mouvementé sans pour autant avoir moins de savoir. Nous retrouvons les forêts et croisons plusieurs cascades, en particulier la spectaculaire Hällingsåfallet dont le torrent dévale une hauteur de 43 mètres et qui, malgré une météo très humide qui ne nous permettait pas d’en profiter pleinement, nous a impressionnés par la puissance de son débit.

La toute fin de la route traverse une partie de la Suède où on trouve le plus d’ours bruns au kilomètre carré. Il y a globalement beaucoup d’ours en Suède, un peu moins de 3000 individus. Nous croisons régulièrement des panneaux nous prévenant de leur présence. La prévention est toutefois moins alarmante qu’au Canada, peut-être du fait qu’il s’agisse d’ours bruns dont le contact est moins risqué qu’avec les ours noirs. Nous avons vagabondé un peu dans le coin dans l’espoir d’en croiser un, mais malheureusement ils sont restés timides.

Nous redescendons encore plus au sud jusqu’à Örebro, embrassant à nouveau une forêt sans fin jonchée de milliers de lacs. La nature tout en simplicité nous offre régulièrement de petites œuvres originales, comme par exemple ces champignons aux allures de feuilles, ou encore ce ciel enflammé du petit matin.

Les animaux sont aussi régulièrement de la partie. La faune est riche en oiseau, de nombreuse espèce que nous connaissons bien comme les mésanges, des rouge-gorges ou encore des sittelles, d’autres petites espèce dont je ne connais pas le nom. Une espèce particulièrement volumineuse nous fait régulièrement sursauter en forêt lorsque leur envol qui suit leur propre sursaut semble emporter une partie de la forêt avec eux : les tétras. Bien que nous en ayons croisé régulièrement, leur apparition éphémère rend la photo compliquée. Sur l’un de nos campements, nous étions aussi entourés de petits écureuils.

Mais l’animal totem de ce voyage, celui que nous aurions aimé voir, c’est l’élan (ou l’orignal pour continuer le parallèle nord-américain), ce ruminant gigantesque de plus de 2m pour plus de 500kg de chaire, et aux bois si grands que l’on pourrait y faire la sieste. Nous en avons aperçu un au début du voyage, ou plutôt une maman avec ses deux petits. Mais le temps de nous arrêter et de tenter de nous approcher suffisamment pour pouvoir les voir, ils avaient détalé, le laissant derrière que le résonnement de leur pas sur le sol. Plus tard, nous en avons aperçu de loin qui traverser un lac à la nage. Cet animal est très chassé en Suède (environ 100000 par an), mais la population de 400000 individus reste stable. Notre dernière soirée nous a offert une dernière opportunité d’observer à nouveau ces créatures. Il s’agissait encore d’une maman et de deux petits (si l’on peut dire).

Une petite touche historique pour finir, avec le tumulus de Anundshög que nous avons visité avant de rejoindre Stockholm. Le site a été détruit lors de la chasse aux païens puis restauré au siècle dernier. Il s’agit du plus grand tumulus de Suède, qui est associé au roi Anund. Les cercles de pierre représentent les deux plus grands bateaux du site qui en contient 5 au total, auxquels viennent s’ajouter 11 tumulus et d’autres monuments en pierre.

L’aventure suédoise se termine ici, mais celle du nord n’a pas dit son dernier mot.

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